Hip-hop et multiculturalisme
Peut-on
librement puiser dans d'autres cultures que la sienne ?
Dans
son article,
L'Amérique a un problème avec ses pop-stars blanche,
Mathilde Carton rapporte les critiques à l'encontre de Miley Cirus,
Katy Perry ou Lana Del Rey pour leur utilisation d'éléments
associés aux cultures afro-américaine ou latino.
Le
papier liste les reproches faits aux chanteuses.
On
commence par le plus évident : ne s'agit-il pas simplement
d'une utilisation de ces codes à des fins commerciales ? De
s'acheter une street
credibility
à peu de frais pour des chanteuses (en particulier l'ancienne Hannah
Montana) qui ne connaissent rien de la rue, sinon les clichés déjà
véhiculés par l'industrie musicale.
Une
fois l'usurpation établie, la critique peut prendre un tournant plus
radical. Le point pivot est le « clash » entre Miley et
Jay-Z, via
paroles de chansons et tweets, qui permet d’aboutir à l'analyse du
blog Gradient
Lair
pour qui "la
suprématie blanche empêche les Blancs de comprendre pourquoi ces
appropriations culturelles cycliques constituent une arme
d’oppression. (...) Ce n’est pas un compliment de voler,
d’altérer et de profiter de ceux qui ont été les premiers à
créer un art. Cette attitude est déshumanisante. Et le pire, c’est
que ceux qui sont derrière cette opération de déshumanisation se
marrent à gorge déployée, comme l’attitude de Miley le révèle.»
Il
est difficile de prendre la défense de l'ancienne coqueluche Disney,
et de ne pas comprendre comment la reproduction de certains
stéréotypes peut être perçue comme profondément raciste. Il est
légitime/normal/nécessaire de pouvoir questionner, analyser,
critiquer le traitement des minorités dans les médias, dont
l'industrie musicale fait évidement partie.
Néanmoins
l'article et sa conclusion mettent profondément mal à l'aise. Un
glissement s'opère : il ne s'agit plus de critiquer l'usage de
certains archétypes (la danseuse noire plantureuse en mini short par
exemple) mais l'appropriation culturelle en tant que telle. Dans son
analyse, Trudy de Gradient Lair, pose deux hypothèses :
d'une part qu'il existerait des cultures clairement séparées
(noire/blanche/latino, etc), d'autre part qu'il est a priori
souhaitable de préserver ces ensembles culturels.
On
peut à ce stade prendre une pause pour lire l'interview d'Emmanuel Parent dans Libération, à l'occasion de l'exposition Big
Black Music à la Cité de la musique.
Dans
cet article, l'anthropologue et musicologue explique le paradoxe
qu'il y a dans l'idée de musique noire : à savoir qu'il
n'existe pas (contrairement à ce qu'on imagine souvent) de
caractéristiques techniques propres à la musique noire et que
malgré cela, cette culture noire existe de facto, car des
artistes l'ont portée et théorisée en tant que telle.
Il
explique aussi combien la musique noire a été influencée par la
musique blanche, rappelant la proximité qui a existé,
culturellement et socialement, entre les populations noires et
irlandaises aux États-Unis au 19ème siècle.
A
la relecture, on s'étonne du rôle de Jay-Z dans cette polémique.
Le
rappeur apparaît dans l'article de Mathilde Carton comme un
défenseur important d'un art noir, alors que dans le même temps il
développe l'ambition d'être reconnu par les institutions
culturelles traditionnellement associées à l'élite blanche.
Dans
Picasso Baby,
Jay-Z livre ainsi un tube qui respecte tous les codes du rap
game
tout en incluant des référentiels rarement vus dans la culture
hip-hop. Sont donc bien sur cités les femmes/putes et les voitures
de luxe mais aussi Koons, Picasso, Bacon, Da Vinci,
Basquiat... Le fantasme n'est plus de régner sur la rue mais de
trôner au Louvre, au Met ou au Moma.
Dans
la logique de cette transformation en œuvre d'art, Jay-Z performe
son morceau à la Pace gallery, avec de nombreuses guest stars,
de Fab five freddy (obligatoire au vue des nombreuses références à
Basquiat) à Marina Abramovic.
La
nature de l’événement, comme les paroles de la chanson,
témoignent de l'envie de faire entrer le rap dans la high
culture / ce qui
suppose de la faire sortir du cadre social et ethnique où il a pu
être confiné (malgré les exceptions que sont les rappeurs blancs
Beastie boys, Eminem ou House of Pain).
On
retrouve ce même désir de reconnaissance, d’inscription du rap
dans le domaine de l'art contemporain, chez d'autres acteurs du hip
hop US.
On
peut citer Nas, un temps le grand rival de Jay-Z, qui se présente
aujourd'hui comme un
"graphic classic song composer"
(cf, no
introduction
de son dernier album Life
is good). De
même, le
projet annoncé du Wu Tang de faire un album à exemplaire unique,
afin de redonner de la valeur à la musique (application des théories
de Walter Benjamin ?). L'opus serait en écoute en musée... Kanye
West, qui aurait un temps planché sur un projet semblable, s'imagine
dans sa tournée une filiation avec Jodorowsky...
Quoi
de plus normal ?
De
tous temps, les artistes ont trouvés des inspirations dans les
formes et techniques d'ailleurs. Qu'il y ait des exemples
d'appropriations critiquables, c'est une chose, nier que le processus
de métissage culturel puisse être bénéfique en est une autre.
Quand
Jay-Z revendique sa place au Moma, il fait exploser l'idée d'une
culture noire autonome pour s'inscrire au contraire dans le fil d'une
histoire de l'art blanche. Ce mouvement est légitime car le hip-hop
dépasse depuis longtemps les ghettos de son origine. La rencontre
entre sous cultures et mainstream a
une double incidence, il permet la reconnaissance des rappeurs mais
il provoque aussi l'entrée de leur vocabulaire stylistique dans le
répertoire commun. Ce qui permet à Miley de rejouer des codes
gangstas.
Derrière
les attaques que subissent les popstars blanches, pointe l'idée de
l'échec du multiculturalisme. La peur de la contamination culturelle
se retrouve dans tous les groupes ethniques et catégories sociales.
Pourtant, dans le même temps, les désirs d'échapper aux cadres
stricts des genres n'a jamais été aussi fort, ni aussi simple.
Ces critiques sont symptomatiques de l'echec du multiculturalisme, c'est certain mais pas au niveau de lecture le plus évident. L'idée
RépondreSupprimerd'appropriation culturelle simplifiée est que les blancs, déja en position de superiorité politico-socio-économique nous ayant dépouillés de nos cultures et de notre identité culturelle doivent mettre un terme a cette appropriation systématique des quelques singularités qui persistent; et cela, au nom de la reconnaissance de notre histoire de peuple opprimé. Il ne s'agit pas la d'une excuse facile pour se victimiser mais plutot d'une démarche necessaire a notre survie en tant que "peuple", ou plutot "race" systématiquement dépouillée de ses atouts. Cette vision de la necessité et légitimité d'une discrimination positive integrée á notre consommation et appréciation de l'art est bien sur débatable mais il me parait á moi, femme noire a l'histoire et la culture
blanchies, difficile de ne pas politiser la commercialisation de "la culture noire". Il ne faudrait pas en venir au point d'établir un
apartheid musical mais il faut rester vigilant face au phenomene si frequent de blanchissage culturel quasi systematique oú la
multiplicité des influences est indéniable mais oú le réel profit reste en faveur de ceux dont la couleur est celle du groupe dominant: Les blancs. Les Kanye West, Beyonce, Tiger Woods, Jay-Z et autres personalités noires sont souvent critiquées comme des "vendus", des noirs aux aspirations de blancs. dans La Distinction, Bourdieu décrit sa théorie (similaire a celle de Paolo Freire 10 ans auparavant dans la Pedagogie de l'opprimé) selon laquelle les individus desirent s'approprier les biens de consommation, les hobbies et autres signes exterieurs destinés à la classe dominante, afin de prouver leur valeur sociale et créer une rupture avec leur groupe d'appartenance d'origine. Le désir de Jay-Z de figurer au Moma pourrait refléter cette tendance des classes opprimées á jouer au jeu de s'asseoir sur le trone du maitre blanc. L'appropriation de la "culture blanche" pas les non-blancs n'a pas du tout la meme connotation que son inverse.
La sensibilisation au contexte Historico-socio-politique fait défaut a beaucoup trop d'individus pour qu'on puisse réellement se réjouir d'un multiculturalisme dans l'art ou dans tout autre domaine d'ailleurs. Il est triste de ne pouvoir se réjouir simplement du désir de tous de s'inspirer les uns des autres au-delá des politiques raciales mais certains signes ne trompent pas et révelent la sale réalité des appropriations culturelles comme des instrumentalisations quasi-traditionnelles, des cultures "exotiques" par les blancs telles
que par exemple la performance choquante de Miley Cyrus aux MTV Movie Award au cours de laquelle elle a fessé des danseuses noires masquées de tetes d'ours en peluche géantes, parce qu'il est toujours drole au 21eme siecle de montrer que les femmes noires ont de gros fessiers. Pour ceux d'entre nous qui connaissent leur histoire, il n'y a pas de différence entre ce spectacle et
l'exploitation de Sarah Baartman. Personne ne nie que le métissage culturel artistique soit bénéfique; l'indignation est provoquée par la négation d'une inégalité de ces échanges oú les maitres prennent toujours ce qu'ils veulent de ceux qu'ils n'ont au fond,jamais cessé d'exploiter.